Rien de tel qu'un bon vieux mois de Septembre pour se poser éternellement cette même question.
A chaque rentrée Maman se tourne tous ces mots dans son cerveau. A l'endroit. A l'envers. Un mot sur deux. En verlant.
Force est de constater qu'après dix rentrées effectuées dans le même lycée, la réponse est toujours la même.
Maman aime son métier. C'est une chance. Un job alimentaire n'est pas moins valorisant, mais il est effectivement plus simple de se lever le matin lorsque le fait d'aller travailler n'est pas une contrainte mais une bouffée d'air.
Maman aime les missions qu'on lui confie. Même si ce n'est pas celles qui paient le plus **en fait c'est même souvent celles qui ne paient rien du tout !**. Même si c'est bien souvent plus chronophage que tout le reste. Même si elle est souvent prise en sandwich entre la Direction et ses collègues. Entre le Rectorat et ses collègues.
Bref Maman est heureuse ! Et ouaich !
Mais il n'empêche que tous les ans elle se demande si elle est parfaitement légitime dans son rôle d'enseignant.
Si elle a le droit de prétendre aux compétences liées aux missions qui lui incombent.
Si elle n'usurpe pas le costume d'un autre. Alors d'un point de vue mode, il n'y a aucun doute, Maman est uniquement elle-même, mais Vous avez compris le fond de sa pensée.
Donc tous les ans, elle se pose la question de savoir dans quelle foutue case doit rentrer un Prof.
Et tous les ans, elle ne se lasse pas d'observer le seul spectacle capable de répondre à cette question : la Pré-rentrée.
La Pré-rentrée, c'est en fait la Rentrée des profs.
La seule fois de l'année où Nous pouvons circuler dans les couloirs du lycée sans Nous faire bousculer par un EastPak.
La seule fois de l'année où Nous pouvons manger à la cantine sans avoir d'acouphène à la fin du repas.
La seule fois de l'année où cette immense cour bétonnée fait réellement froid dans le dos...
A la Pré-rentrée, tous les profs du lycée sont regroupés dans une grande salle, assis, en posture d'élève pour "écouter" le Directeur énoncer plein de choses...
Et ce jour là précisément voilà ce Nous pouvons voir :
1 _ Les bons élèves assis au premier rang.
Ils ont plusieurs crayons et un bloc note tout neuf. Parfois même ils soulignent leurs notes en rose fluo. Ils savent que Nous recevrons le Power Point de la présentation par mail, mais c'est plus fort qu'eux. Il faut qu'ils prennent des notes d'un truc qu'ils ne reliront jamais. Parfois même ils posent des questions, souvent agaçantes, parfois pertinentes, mais qui n'intéressent qu'eux.
2 _ Les faux bons élèves assis au deuxième rang.
Ils ont un seul crayon et souvent aucune feuille pour écrire dessus. Le crayon ne sert qu'à faire illusion lorsqu'il le lève pour poser une question sans queue ni tête. Parfois même une question dont la réponse a déjà été donnée... Ils n'osent pas se mettre devant parce qu'ils n'ont pas de bloc note et ils n'osent pas se mettre derrière par peur d'être cataloguer. Bref, ce deuxième rang est bien inutile. Par contre le deuxième rang rigole toujours aux blagues du Proviseur. Toujours. Ainsi pour s'asseoir là, il faut un crayon derrière l'oreille et un rire un peu lourd.
3 _ Les dissipés du dernier rang.
En fait, il y a deux rangs qui se remplissent en premier. Le premier et le dernier ! C'est le rang qui ne peut s'empêcher de parler sans arrêt de tout et de n'importe quoi. C'est la que Nous apprenons la dernière destination des vacances du Prof d'Eco-Gestion, les bons plans pour avoir du Wisky pas trop cher, les trucs et astuces pour payer moins cher son assurance voiture... Bref, c'est là qu'il faut s'asseoir si le discour ne Vous intéresse absolument pas.
4 _ Le syndicaliste.
En général il est assis au milieu de l'assemblée, pour être sûr que tout le monde le voit bien lorsqu'il prendra la parole. Et d'ailleurs il prendra la parole. Toujours. Tôt ou tard. Une fois qu'il a passé les cinq première minutes à décliner son identité et toutes les casquettes multifonctions qu'il porte grâce à son syndicat, Maman est déjà bien blasée et n'a absolument pas envie d'en entendre d'avantage. Mais il insiste ! Toujours. Cette personne n'existe que pour soulever de faux problèmes à défaut d'en créer. Il faut savoir qu'en l'absence de problème, le syndicaliste n'aurait plus de raison d'exister, alors il DOIT y avoir des problèmes à soumettre !
5 _ Le rang qui emmerde l'assemblée.
Vous auriez pu penser qu'il s'agissait du dernier rang. Mais non. Le dernier rang est bruyant mais pas vilain. Il existe en fait un rang fictif !
Ce rang se constitue dans les quinze minutes après le début du discour par les gens qui arrivent en retard et qui ne veulent pas s'asseoir là où tout le monde est assis. Non. Ils vont préférer se prendre une chaise dans la pile au fond de la salle, la traîner sur le côté, se vautrer dedans les jambes écartées et soupirer bruyamment.
Le Proviseur ne leur fait jamais de remarque car il sait qu'il les emmerde royalement juste avec l'organisation de la Pré-rentrée...
6 _ Les rires enregistrés.
Ceux qui donnent précisément l'impression d'être dans une série de classe B. Ces profs n'ont pas de places attitrées. Ils se mêlent à la foule et se dispersent, comme ça ils couvrent tout le volume de la salle de leurs faux rires aux blagues moyennement drôles et moyennement préparées lors du discour.
7 _ Le grincheux.
C'est souvent celui qui est assis à côté de Vous.
Peu importe ce que peut dire le Proviseur, son seul mot de vocabulaire sera "De la Merde".
Peu importe les questions posées, son seul mot de vocabulaire sera "De la Merde".
Peu importe les blagounettes envoyées, son seul mot de vocabulaire sera "De la Merde".
Bref, Nous sommes fin Août et il est déjà rageux. L'année va être longue pour lui.
Ça c'est pour les plus classiques... Mais il y en a plein d'autres !
L'agrégé qui se plaindra d'avoir des semaines à 17H car il a accepté à contre cœur deux heures sup, en oubliant que le prof Lambda doit en faire 18 et l'ouvrier 35 !
Le Prof qui a raté deux fois son BAC étant jeune et qui ne comprend toujours pas pourquoi les mathématiques sont toujours enseignées au lycée.
Le Prof qui a toujours tout réussi et qui ne conçoit pas que tous ne partagent pas sa soif de savoir.
Le Gros Relou qui n'a pas assez de soucis dans sa vie et qui part en Guerre Sainte contre les feuilles à grands carreaux, car tout le monde devrait savoir que seules les feuilles à petits carreaux sont acceptables.
Tout ça pour quoi ?
LA légitimité d'être prof n'existe pas. C'est la conclusion à laquelle Maman arrive chaque année. Outre le fait d'avoir potentiellement passé un concours, aucun prof n'est plus légitime que son voisin.
Mais au milieu de cette assemblée à la Pré-rentrée, Maman est convaincue d'une chose. Peu importe la case, un prof est et restera un élève dans un corps d'adulte.
Ni plus, ni moins.